Recits_Contes_Populaires - page 72

fit un mouvement en poussant un sifflement que l’on aurait pu entendre
à cent pas. Mais le « maître baradier », en homme courageux et
prévoyant, laissa glisser rapidement sa gibecière à terre, derrière lui. Il
pose la bêche contre le cou de l’animal qui n’avait pas eu le temps de
se déployer et se met à appeler au secours autant qu’il pouvait crier.
N ’étant pas loin, en train d’épamprer, j’entends ces appels désespérés.
Je me mets à courir, ma serpette à la main. Des hommes, déjà arrivés
à la cantine ou en route pour y aller, entendant aussi — s’y rendaient
en courant. Une fois sur place, nous vîmes que le « maître baradier »
avait été enserré par le serpent. Il était accroupi par terre, recroquevillé,
la tête près de ses mains tenant toujours la bêche, le visage tout bleu
et à moitié étouffé. Je me précipite pour trancher la tête de l’animal à
l’aide de ma serpette, mais le visage de l’homme était si proche du fer
de la bêche que je ne pouvais frapper. De plus, la tête de la bête, entortillée
dans les broussailles et enfouie dans la vase, ne paraissait guère.
Un des hommes sort son couteau et tente de couper la couleuvre, mais
celle-ci était trop grasse et il ne lui fait que des entailles insignifiantes.
Un autre essayait de la dégager du « maître baradier » mais il n’était
pas assez fort. Il n’arrivait à rien. Quant à moi, je cherchais à introduire
ma serpette entre la figure de la personne et la tête de la couleuvre.
Cependant, il n’y avait pas suffisamment de place ; j’avais peur de le
blesser.
Nous étions là assemblés, nous efforçant de dénouer le serpent, lorsque
le « maître baradier », à bout de forces, tout noir et aux trois quarts
étouffé, tombe sur le côté comme s’il allait mourir. Ce mouvement me
découvre la bête et me laisse voir ses yeux brillants comme du feu, sa
gueule béant sous la pression de la bêche encore tenue par le « maître
baradier », et sa langue fourchue qui dardait.
— Ah ! Croyez bien que je ne perdis pas de temps ; je lui flanque un
coup sec du tranchant de ma serpe, et lui fais sauter la tête !
Il était temps ! L’homme n’en pouvait plus ; il était congestionné. Ses
yeux étaient exorbités et il avait perdu connaissance.
Nous nous mettons sur-le-champ à vouloir désentortiller le serpent, mais
ce fut très difficile : quoique guillotiné, il remuait et serrait encore.
Finalement, en tirant assez fort sur le moignon de son cou, nous avons
fini par le dégager. Quelqu’un courut aussitôt chercher de l’eau à la cantine
et nous en aspergeâmes le malheureux, étendu, la tête en l’air, sur les
brassées d’ellébores.
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